Noces de profundis

Publié le par £akma


si j’avais eu ton bras autour de mes épaules

si tu m’avais offert ta présence aujourd’hui

si j’avais pu flairer l’odeur de ton manteau

entortiller ma main dans tes écharpes douces

si j’avais pu enfouir mon enfance à jamais

entre les pulsations de ton cœur aérien

quand l’encens âcre-doux s’épandait sous la voûte

quand l’orgue bourdonnait l’alleluia des anges

alors en ce seul jour étaient scellées nos âmes

alors l’éternité devenait notre Mère

on ne s’épouse bien qu’aux messes funérailles

où l’on voit la douleur sanctifiée et paisible

nouer d’un lien d’amour deux êtres qui se cherchent

avant qu’ils ne se perdent encore, ou pour toujours

 

je te donnais pouvoir de broyer l’amertume

brute et séchée en blocs de compacte indigence

pour en extraire à flots le breuvage divin

cet élixir qui mue les putains en princesses

les champs de solitude en champs de liberté

qui sacre l’étranger enfant de la patrie

étire la patrie jusqu’aux confins du monde

déploie le monde aussi, par delà l’infini

et me transforme en fée à rester dans ta poche,

le paradis secret où je vis contre toi

au doux balancement des secondes/lumières

égrenées de ton rêve et dansant dans le vent

 

et tu n’as pas permis noces de cette sorte

j’étais le parent pauvre parmi cette foule

je voyais que ma peau avait fané très vite

faute d’en avoir pris soin avec des onguents

faute d’avoir dormi dans des lits confortables

pour avoir sacrifié au culte de l’alcool

et surtout pour avoir écarquillés mes yeux

jour et nuit, sans repos, sur les beautés du monde

et pour avoir pleuré de terreur et de haine

impuissante à offrir ce que je n’avais pas

à mes enfants fixant sur moi leurs yeux avides

où je lisais “Maman, la vie ça sert à quoi ?”

et je ne savais pas répondre, ni sourire

j’aurais pu leur parler de ces gens au sang bleu

bien nourris, reposés aux soleils des montagnes

mais je me soupçonnais d’être mythomaniaque

alors j’ai oublié, et n’ai parlé de rien

j’attendais que tu viennes en parler à ma place

 

par le manque de toi le ciel s’est refermé

c’est juste un aujourd’hui d’il y a très longtemps  

j’ai cru en ta magie du retour dans le temps

(tant ton être, le fils bien-aimé des comètes,

semble faire le tour du ciel en une nuit)

 

et je sais maintenant que j’ai rêvé pour rien

quand hier je pleurais déjà pour cet autre homme

mon appel au secours l’avait rendu méchant

il n’a pas mis son nom au bas du parchemin

je te le tends, tu y dessines une princesse

courtisée par des rois effondrés de vieillesse

ressassant en pensée leurs guerres glorieuses

tandis que je me meurs au pied de leurs murailles

 

A Messire Ce Joug ne me Dit Rien qui Vaille :

plus de larmes à verser, pas de tombe à fleurir

un rêve n’est jamais qu’un cheval qui s’envole

et lorsque il est au loin on le voit tout petit

comme un canard qui a perdu son bataillon

on le crible de plomb, alors il se dégonfle

et retombe à mes pieds en baudruche incolore

parasite accompli non–biodégradable

 

aux marches du palais le bourreau va nu pied

le chien toise le roi, le chat nargue l’évêque,
des enfants sont figés à un-deux-trois soleil

 

et pendant ce temps là tu gravites en silence

sur le ciel, un géant fait des ombres chinoises 

 

Pour Elie       Saint-Cloud  27 mai 2004

Publié dans épisoïdal

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